Thursday, April 2, 2009

Argumentation de Fénelon, Traité de l’éducation des filles

À la fin du XVIIe siècle, les érudites et les bourgeois s’intéressaient beaucoup à la question de l’éducation des filles. Parmi eux, il y avait François de Salignac de La Mothe-Fénelon, dit Fénelon, un écrivain français et un homme d’Église qui a ajouté à ce débat un point de vue importante en particulier par rapport à la religion. Au beau milieu de son Traité de l’éducation des filles écrit en 1687, Fénelon propose une façon d’inculquer aux enfants des principes moraux et religieux en racontant des histoires. Ce chapitre intitulé De l’usage des histoires pour les enfants, s’adresse aux femmes qui s’occupaient d’abord de l’éducation des enfants, et il s’agit de leur apprendre les mœurs à la même mesure que leurs enfants. Dans cette analyse, nous verrons d’abord le développement de son argument dans chapitre VI, de la pratique du conte et l’avantage de bien concevoir les mœurs au sein de l’histoire. Ensuite, nous examinerons une lecture possible cachée dans son argument. Enfin, nous parlons de sa critique de la société et d’autres hommes d’Église.

Intéressons nous d’abord à l’argument de Fénelon écrit comme une recette d’enseignement, utilisant les phrases de la forme verbale impérative. Il fait une liste des étapes pour raconter des histoires aux enfants. Il leur conseille de faire appel au plaisir, parce que « les enfants aiment avec passion les contes ridicules » ; de le tenir en haleine; de leur raconter d’abord les fables simples des animaux ; de leur encourager de raconter de nouveau librement, et sans votre aide ; de leur faire jouer des personnages différents ; et de se concentrer toujours sur les buts sérieux, car dans cela on trouve le plaisir. Cette méthode, cette façon d’apprendre ouvre selon lui la porte à « une espèce de faim d’apprendre. » Remarquons ici que vers la fin de son propos, Fénelon ajoute de ne pas pousser les enfants, de plutôt laisser venir « leur curiosité pour les choses sérieuses… peu à peu » ce qui, comme nous le verrons plus tard, sera encouragé par la façon de raconter. En revanche, il maintient qu’en s’accoutumant généralement aux histoires, un enfant va désirer entendre de la même façon les histoires de n’importe quel genre, notamment celles qui sont religieuses. C’est à ce moment que nous nous détournons de la pratique, et que Fénelon se met à son sermon.

Dans cette deuxième partie, Fénelon explique comment s’aborder à la religion, et pourquoi raconter des histoires religieuses est important. Il dit qu’il vaut mieux pour l’esprit qu’un enfant ait le goût pour ce genre d’histoire. Celui qui veut apprendre, et puis qui connaît bien les histoires religieuses, va s’approcher volontairement des enseignements moraux au sein de ces histoires. De plus, selon lui, la religion offre les histoires les plus belles et les plus miraculeuses qui nous aident à « retenir les mystères. » Il continue : « c’est par un tissu de faits merveilleux que nous trouvons son établissement, sa perpétuité, et tout ce qui doit nous la faire pratiquer et croire, » et il met en valeur le fait que la façon de raconter influence la compréhension de ce sujet. La suite de son argumentation consiste à donner les exemples des histoires à raconter, pour « montrer, » comme il dit, la pratique ; celles de Moïse et le passage de la mer Rouge, de David vainqueur du géant Goliath, et de la vie de Jésus-Christ. Il préconise surtout de ne pas lister les faits d’une histoire, mais de peintre des belles images dans l’esprit des enfants, justement des filles, pour concevoir et se souvenir du sens moral et religieux. Il semble qu’il parle des arts en général. Toute à la fin, il ne dit quasiment rien sur les tableaux qui peuvent selon lui aider à éveille l’imagination des enfants. Malheureusement, il ne va pas très loin en expliquant les avantages de l’art, et il sort vite de ce sujet.

Derrière ce discours sur  ce qui est noble et moral, on a l’impression que Fénelon transmet une deuxième lecture cachée, un message dont il n’a pas conscience. Nous voyons clairement qu’il lutte contre l’idée que la religion est « ordinaire, comme quelque chose de triste et de languissante » car il tente avec peine d’embellir ces histoires « pour faire en sorte que les enfants trouvent la religion belle, aimable, et auguste. » Évidemment, il s’agit de renverser une idée, déjà présente dans la société, que la religion n’a pas assez de valeur, de beauté, d’importance dans la vie sociale. Surtout, Fénelon charge les femmes d’enseigner leurs enfants d’une façon qui met la religion à la première place. En fait, inconsciemment, Fénelon confie aux femmes la grande tâche de combattre un changement social, celui qui divise d’Église. Ces femmes doivent bouleverser les normes du monde et, dit Fénelon, produire des enfants plus moraux pour être avantageux pour la société. Dans cela, Fénelon est assez féministe, qu’il charge les femmes d’une mission si importante. Sans doute, il y aurait attribué autrement le progrès de cet effort, mais cela s’éloigne trop de notre discussion pour l’instant.

Après tout, il ne faut jamais oublier que Fénelon est un homme d’Église. Il faut toujours penser donc que sa profession suppose forcément une certaine exigence pour enseigner aux gens les mœurs religieuses. Notamment, sa ton n’est point neutre par rapport à l’éducation des filles, puisque cela est surtout l’enjeu à quoi il pense. Par exemple, à partir de sa troisième phrase, Fénelon interdit aux filles d’apprendre les fables païennes, puisque, selon son argument « non-dit, » elles apportent le malheur. De plus, comme nous l’avons vu, il a peut-être le projet de pousser les femmes à combattre contre une société qui s’éloigne de l’Église. Évidemment, Fénelon fait une critique forte de la société et d’autres hommes d’Église avec son argument, disant, « quand on l’ignore (cette façon de l’instruction), on n’a que des idées confuses sur Jésus-Christ, sur l’Evangile, sur l’Église, sur la nécessité de se soumettre absolument. » Il est donc clair que la société s’éloigne de l’Église, et que Fénelon profite de l’occasion pour lutter contre ce phénomène, surtout en chargeant les femmes d’enseigner la religion à leurs enfants.